– Circulation sous contrôle strict, mais quid de la sécurité et du calvaire des commuters ?
La capitale tentaculaire de la République démocratique du Congo, Kinshasa, ville aux vingt millions d’âmes vibrantes mais perpétuellement engorgées, se voit imposer une cure de jouvence pour le moins radicale, orchestrée par un Exécutif provincial visiblement déterminé à dompter le monstre des embouteillages.
Les annonces du 15 mai 2025, prévoyant un couvre-feu nocturne pour les poids lourds et une circulation alternée basée sur les plaques d’immatriculation à compter du 19 mai, ont certes résonné comme un signal fort de volonté politique.
Pourtant, derrière cette façade de détermination à fluidifier le trafic, se profilent des ombres et des questionnements profonds qui explosent les complexités d’une mégalopole aux défis multiples.
Si l’intention de désengorger les artères congestionnées aux heures de pointe est louable et répond à un besoin criant des Kinois, l’efficacité réelle de ces mesures, ainsi que leurs potentiels effets pervers sur la sécurité et la mobilité d’une population déjà confrontée à d’immenses difficultés de transport, suscitent un scepticisme palpable et des inquiétudes légitimes au sein de la société civile et des observateurs avertis.
La capitale congolaise se retrouve ainsi à la croisée des chemins, oscillant entre l’espoir d’une circulation enfin maîtrisée et la crainte de voir ces solutions abruptes engendrer de nouvelles formes de vulnérabilité et de désorganisation dans un tissu urbain déjà fragile.
LE COUVRE-FEU DES TITANS DE LA ROUTE : UNE AUBAINE POUR LES BRAQUEURS NOCTURNES ?
La première salve des mesures annoncées par l’Exécutif provincial concerne directement les piliers du transport de marchandises à Kinshasa : les camions-remorques, les poids lourds de plus de 20 tonnes, les bétonnières et les véhicules de livraison de marchandises et matériaux divers.
Désormais confinés à une fenêtre de circulation nocturne, entre 22h00 et 5h00 du matin, ces mastodontes de la route sont censés disparaître des artères principales durant les heures de grande affluence, libérant ainsi des voies précieuses pour les véhicules légers.
Si cette logique de désengorgement diurne semble imparable sur le papier, elle soulève une question sécuritaire d’une acuité particulière, surtout dans un contexte où Kinshasa est secouée par une vague de criminalité audacieuse, avec des braquages perpétrés même en plein jour.
La concentration de ces poids lourds sur les routes durant la nuit, dans une métropole où l’éclairage public est souvent défaillant et la présence policière aléatoire, pourrait involontairement créer des cibles privilégiées pour les bandes criminelles.
Les conducteurs de ces camions, transportant des marchandises parfois de grande valeur, se retrouveront potentiellement isolés et vulnérables durant ces heures sombres.
L’absence de mesures de sécurité spécifiques annoncées par l’Exécutif pour accompagner ce couvre-feu des poids lourds est pour le moins préoccupante.
A-t-on envisagé un renforcement de la présence policière nocturne sur les axes empruntés par ces véhicules ?
Des escortes de sécurité seront-elles mises en place pour les convois les plus sensibles ?
Sans des réponses claires et des dispositifs concrets, cette mesure, initialement pensée pour fluidifier la circulation, risque de se transformer en une aubaine involontaire pour les réseaux criminels, mettant en danger la vie des conducteurs et la sécurité des biens transportés, et potentiellement engendrant une augmentation des coûts de transport qui se répercuteront inévitablement sur les prix des marchandises pour les consommateurs kinois.
LA CIRCULATION ALTERNÉE : UN PANSEMENT INÉGAL SUR UNE PLAIE PROFONDE DU TRANSPORT EN COMMUN
La seconde mesure phare annoncée par l’Exécutif provincial est l’instauration d’une circulation alternée basée sur les numéros de plaques d’immatriculation. Les véhicules dont la plaque se termine par un chiffre impair seront autorisés à circuler uniquement les lundis, mercredis et vendredis, tandis que ceux avec un chiffre pair prendront le relais les mardis, jeudis et samedis.
Le dimanche, fort heureusement, restera exempt de toute restriction. Si l’objectif de réduire de moitié le nombre de véhicules en circulation durant la semaine est mathématiquement séduisant, son application dans le contexte spécifique de Kinshasa révèle des failles béantes, notamment en ce qui concerne le système de transport en commun, qui est pour le moins rudimentaire pour une métropole de cette envergure.
Il est notoire que Kinshasa souffre d’un déficit chronique en matière de transport public organisé et efficace. Les quelques bus officiels sont largement insuffisants pour répondre aux besoins de déplacement de millions de Kinois.
C’est un parc de véhicules privés, souvent vétustes et opérant de manière informelle, qui assure l’essentiel des déplacements de la population.
Dans ce contexte de pénurie structurelle, la réduction de moitié du parc automobile en circulation durant la semaine, même avec les exemptions prévues pour certains types de véhicules (officiels, diplomatiques, transport en commun, scolaires, ambulances et funéraires), risque d’exacerber les difficultés de mobilité pour une large frange de la population.
Les Kinois, déjà confrontés à des temps de trajet interminables et à des coûts de transport élevés, pourraient se retrouver encore plus pénalisés, avec des temps d’attente accrus pour les rares transports en commun disponibles et une pression accrue sur les véhicules privés autorisés à circuler les jours concernés. La question cruciale est de savoir si l’Exécutif provincial a anticipé cet impact sur la vie quotidienne des Kinois en mettant en place des mesures d’accompagnement significatives.
A-t-on prévu un renforcement substantiel du parc de transport en commun officiel ?
Des alternatives de mobilité abordables et efficaces ont-elles été envisagées pour compenser la réduction du nombre de véhicules privés en circulation ?
Sans des réponses concrètes et des investissements massifs dans le secteur du transport public, cette mesure de circulation alternée, bien que louable dans son intention de fluidifier le trafic, risque de se transformer en un fardeau supplémentaire pour des millions de Kinois qui dépendent de leur capacité à se déplacer pour travailler, étudier et mener à bien leurs activités quotidiennes.
La solution au problème des embouteillages à Kinshasa semble nécessiter une approche plus globale et intégrée, qui ne se limite pas à des restrictions de circulation, mais qui s’attaque aux racines du mal en investissant massivement dans un réseau de transport public moderne, sûr et accessible à tous.