– L’affront de 1 million de FCFA, Tiburce Koffi redéfinit la valeur de l’intellect et dénonce les priorités sociétales.
Le monde des lettres et de la culture ouest-africaine est secoué par un geste retentissant qui transcende le simple refus d’un prix littéraire : l’écrivain ivoirien de renom, Tiburce Koffi, a catégoriquement rejeté la somme d’un million de FCFA, pourtant associée au prestigieux Prix Bernard Dadié dont il était le lauréat. Ce refus, loin d’être un caprice, est une prise de position radicale, un cri du cœur et de l’esprit qu’il qualifie d’insulte à l’intelligence et à la littérature.
C’est un acte de dignité qui remet en question la manière dont nos sociétés valorisent – ou dévalorisent – ceux qui consacrent leur vie à la production intellectuelle et à l’enrichissement des esprits, face à d’autres formes de visibilité ou de divertissement.
La décision de Tiburce Koffi n’est pas seulement un fait divers, c’est un manifeste qui invite à une introspection collective sur nos échelles de valeurs, sur la place accordée à la culture et à la pensée dans le développement de nos nations, et sur le message que nous envoyons, consciemment ou non, à la jeunesse quant aux voies de la réussite et de la reconnaissance.
LA DISCORDANCE DES VALEURS – UN DÉBAT SUR LA RECONNAISSANCE ET LES PRIORITÉS
La déclaration de Tiburce Koffi est une flèche acérée lancée au cœur d’une dissonance sociétale profonde et souvent ignorée. Il s’interroge avec une ironie mordante : “On offre 10.000.000 FCFA, une villa et d’autres avantages à une Miss pour avoir montré ses formes au monde… Et à un intellectuel qui a consacré sa vie à nourrir les esprits, on donne à peine un million” ? Cette comparaison, aussi provocatrice soit-elle, met en lumière une fracture perceptible entre la reconnaissance ostentatoire accordée à l’éphémère et au divertissement, et le traitement souvent parcimonieux réservé à la profondeur, à la réflexion et à la transmission du savoir.
Le geste de Koffi est donc un acte de rébellion symbolique contre une hiérarchisation des valeurs qu’il juge inacceptable.
Pour lui, la dignité de l’intellectuel ne peut être monnayée à un prix qu’il estime dérisoire et insultant. C’est un rappel cinglant que l’apport d’un écrivain, d’un chercheur, d’un penseur, qui forge les consciences, stimule le débat, préserve la mémoire collective et éclaire l’avenir, ne saurait être quantifié par des “miettes” qui dévalorisent l’effort de toute une vie dédiée à la plume et à la transmission. La force de sa conclusion, “Ma réussite dépend de moi, pas de leurs miettes”, résume une philosophie de l’autonomie et de la fierté intellectuelle, refusant toute forme de condescendance financière qui tenterait de dicter la valeur de son travail. Ce refus est un appel à la revalorisation intrinsèque de la littérature et de la pensée comme piliers fondamentaux de toute société qui se veut évoluée et épanouie.
L’ÉCHO CONGOLAIS – UNE RÉALITÉ PARTAGÉE AU-DELÀ DES FRONTIÈRES
La résonance du geste de Tiburce Koffi s’étend bien au-delà des frontières ivoiriennes, touchant des cordes sensibles dans d’autres pays africains, notamment la République démocratique du Congo.
Ici aussi, l’observation est amère : la reconnaissance post-mortem, ou même de leur vivant, accordée aux artistes musiciens, souvent saluée par des funérailles nationales et des enveloppes gouvernementales substantielles, contraste vivement avec le silence ou la modestie des hommages réservés aux scientifiques, aux professeurs d’université, ou aux chercheurs.
Pourtant, ce sont ces derniers qui, dans l’ombre, jettent les bases du développement endogène, forment les élites, conduisent l’innovation et contribuent de manière durable à la souveraineté intellectuelle et technologique du pays.
Cette disparité n’est pas seulement une question de chiffres ; elle est symptomatique d’un mal plus profond qui touche à la perception collective de la valeur du travail intellectuel et scientifique.
Si la musique et le divertissement sont essentiels à l’âme d’une nation, le savoir et la recherche en sont le cerveau et le moteur de son évolution.
Le refus de Tiburce Koffi n’est donc pas un cas isolé, mais le reflet d’une frustration partagée par de nombreux intellectuels africains qui se sentent sous-estimés et dont les contributions ne sont pas toujours honorées à leur juste mesure.
C’est un appel urgent à nos gouvernements, à nos institutions et à la société civile de réajuster leur boussole morale et financière, de reconnaître que l’investissement dans l’esprit est le véritable capital pour construire des nations résilientes, innovantes et réellement indépendantes, et de s’assurer que ceux qui nourrissent l’intelligence collective reçoivent la reconnaissance et la dignité qu’ils méritent amplement.