Le paysage politique congolais, rarement exempt de secousses, vient de connaître un nouveau tremblement de terre : l’ancien Président de la République démocratique du Congo, Joseph Kabila Kabange, a brisé un silence de plusieurs années pour revenir sur le devant de la scène avec une proposition politique d’une envergure inattendue.
Dans un discours rare et particulièrement attendu, Kabila a dressé un tableau sombre de la situation actuelle, qu’il juge “critique” sur les plans sécuritaire, institutionnel et social.
Face à ce qu’il perçoit comme un chaos imminent, il a lancé un appel solennel à un “pacte citoyen”, une union sacrée autour d’un programme ambitieux en douze points.
Ce plan, audacieux, est présenté comme la seule voie pour refonder l’État, restaurer sa souveraineté pleine et entière, et ramener une paix durable dans une RDC fragilisée.
Sa prise de parole, inédite depuis son départ du pouvoir, est bien plus qu’une simple contribution au débat national ; elle marque potentiellement un tournant majeur dans la posture de l’ancien chef d’État, soulevant des interrogations brûlantes sur ses intentions futures et un éventuel retour aux affaires.
LE MANIFESTE DE KABILA : UN “PACTE CITOYEN” CONTRE LA CRISE MULTIFORME
Le ton était délibérément solennel, le verbe pesant, mais le message d’une clarté percutante.
Joseph Kabila a révélé que cette initiative est l’aboutissement de “quelques années de réflexion” et de consultations approfondies. Il a déclaré : “Après quelques années de réflexion sur la crise en cours, après avoir consulté des chefs d’États et des anciens Chefs d’États de la région, ainsi que des acteurs politiques et sociaux, nationaux et étrangers, je fais ce jour, une proposition qui engage la nation toute entière à un sursaut patriotique pour un pacte citoyen”.
Cette introduction stratégique met en lumière non seulement l’étendue des réseaux de Kabila, mais aussi sa capacité à mobiliser des acteurs variés, de la diplomatie régionale aux personnalités nationales et internationales.
Il s’agit d’une tentative de légitimer sa démarche et d’affirmer la gravité de son analyse de la situation, posant les bases d’une action collective.
Le “pacte citoyen” n’est pas seulement un programme politique ; c’est un appel à l’unité au-delà des clivages partisans, une sorte d’union sacrée autour des valeurs fondamentales de la nation congolaise, en péril.
Le plan détaillé par Joseph Kabila s’articule autour de douze engagements majeurs, chacun étant présenté comme un pilier indispensable à la restauration de la souveraineté, de la démocratie et de l’unité nationale, des concepts qu’il estime aujourd’hui gravement compromis.
L’ordre de ces points n’est pas anodin ; il dénote une hiérarchie des priorités perçues par l’ancien président, reflétant une critique implicite mais constante de l’actuelle gouvernance :
1. Mettre fin à la dictature et à la tyrannie : Ce premier point est une accusation voilée mais directe envers le pouvoir en place, suggérant une dérive autoritaire et un éloignement des principes démocratiques pour lesquels le peuple congolais a tant lutté ;
2. Arrêter la guerre et restaurer la paix : Une priorité absolue et un enjeu existentiel pour un pays dont l’Est est ensanglanté par des conflits armés incessants, des massacres de civils et des déplacements massifs de populations.
Ce point met en évidence ce que Kabila perçoit comme l’échec des stratégies sécuritaires actuelles ;
3. Rétablir l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire : Crucial pour la sécurité des citoyens, l’administration du pays et l’exploitation de ses richesses, ce point sous-entend une faiblesse, voire une absence totale, de l’État dans de nombreuses zones, laissant le champ libre aux groupes armés ;
4. Ramener la démocratie en renforçant les bases de l’État de droit : Un retour aux fondamentaux institutionnels et judiciaires, soulignant des lacunes dans le respect des lois, la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice ;
5. Garantir les libertés fondamentales : Essentiel pour la vitalité de la société civile, la liberté de la presse, l’expression politique et la protection des droits de l’homme, ce point suggère une restriction croissante des libertés sous l’administration actuelle ;
6. Réconcilier les Congolais et reconstruire la cohésion nationale : Un défi colossal dans un pays marqué par des divisions ethniques, politiques et régionales, exacerbées par les conflits et les tensions.
Kabila appelle à panser les plaies du passé et du présent ;
7. Promouvoir un développement durable par une bonne gouvernance économique et une répartition équitable des ressources : Un axe vital pour lutter contre la pauvreté endémique, la corruption systémique, et s’assurer que les immenses richesses minières du Congo bénéficient à tous les Congolais, et non à une élite ;
8. Entretenir un dialogue franc avec les pays voisins pour une paix régionale durable : Reconnaître la dimension transfrontalière des conflits et la nécessité d’une diplomatie régionale proactive, transparente et basée sur la confiance mutuelle, loin des accusations ;
9. Restaurer la crédibilité de la RDC aux niveaux régional, continental et international : Pour regagner la confiance des partenaires, des investisseurs et asseoir l’influence du pays sur la scène mondiale, après une période jugée instable et confuse sur la scène internationale.
10. Neutraliser les groupes armés nationaux et étrangers et assurer leur rapatriement : Une condition sine qua non pour toute stabilité et sécurité, ciblant la source principale de l’insécurité chronique dans l’Est du pays.
11. Mettre fin à la présence de mercenaires sur le sol congolais, conformément aux conventions internationales : Un point sensible qui touche directement à la souveraineté nationale et à la question complexe de l’externalisation de la sécurité par le gouvernement.
12. Obtenir le retrait immédiat de toutes les troupes étrangères encore présentes sur le territoire : Une exigence de souveraineté nationale totale, critiquant implicitement la présence de forces étrangères qui ne seraient pas sous un contrôle congolais clair et transparent.
Dans une démarche tactique finement calculée, Joseph Kabila a également salué “la décision sage des pays de la SADC de retirer les troupes de la SAMIDRC du pays”, un geste qu’il considère comme un signal encourageant pour la souveraineté de la RDC. Cette reconnaissance, bien que subtile, cherche à marquer une convergence de vues sur certains aspects de la politique étrangère et de défense, tout en accentuant la pression sur les autres aspects de la gouvernance actuelle.
AU-DELÀ DU DISCOURS : UN RETOUR STRATÉGIQUE OU UN RÔLE DE GRAND BÂTISSEUR
L’ancien chef de l’État a conclu son discours par un appel solennel et passionné à l’unité, invitant tous les Congolais, “sans distinction de sexe, d’ethnie, d’âge, de classe sociale, de zone géographique ou d’appartenance politique”, à se mobiliser collectivement.
L’objectif est clair : “redonner au pays ses repères, sa dignité et sa stabilité”.
“Mobilisons-nous, et mettons à profit tous les moyens à notre disposition, pour restaurer l’unité nationale, sauver le Congo et préserver son indépendance, car l’Afrique et le monde nous regardent”, a-t-il martelé, insistant sur l’urgence d’une prise de conscience nationale et d’une action concertée face aux menaces existentielles qui pèsent sur la nation.
Cette rhétorique forte vise à galvaniser les masses et à positionner Kabila comme un unificateur potentiel, capable de transcender les clivages.
Ce retour sous les feux des projecteurs, avec une proposition politique aussi structurée et des accusations voilées mais claires envers le pouvoir en place (notamment sur la “dictature” et la “dilapidation de l’héritage”), est perçu comme un tournant significatif dans la posture de Joseph Kabila.
Après des années de retrait apparent et de spéculations incessantes sur son avenir politique, cette sortie de silence soulève inévitablement la question de ses intentions profondes.
S’agit-il d’une simple contribution au débat national, d’un rôle de “grand sage” du pays apportant sa pierre à l’édifice, ou bien d’une tentative délibérée de redevenir un acteur central et incontournable de la scène politique congolaise, voire de se repositionner pour l’avenir ?
Le fait qu’il ait mené des consultations régionales et internationales, qu’il ait évoqué un déplacement prochain à la partie orientale de la RDC (un coin récemment tenu par le M23, un point de tension majeur), et qu’il ait fait des allégations de “complicité” du pouvoir avec la rébellion, ajoute une dimension complexe à cette reprise de parole.
La levée récente de son immunité parlementaire par le Sénat, l’accusant de “complicité” avec le M23/AFC, ajoute par ailleurs une dimension judiciaire et politique explosive à cette prise de position.
L’avenir nous dira si ce “plan en 12 points” est le prélude à un retour en force sur le devant de la scène politique congolaise, ou s’il se veut uniquement un catalyseur pour un débat national sur la refondation de la RDC, forçant le gouvernement actuel à réagir à ses propositions et à sa vision.